Présentation des interventions : ( par ordre alphabétique)
- Adda, Mélanie, « L’onomastique biblique dans les romans d’Albert Cohen »
Cette intervention veut souligner l’importance de l’analyse et de l’interprétation des traces du texte sacré dans un texte littéraire. L’étude de « l’intertexte sacré » n’est jamais une vaine entreprise d’érudition : elle peut permettre, comme c’est le cas chez Albert Cohen, la compréhension des enjeux profonds de l’écriture. L’intertexte biblique, et plus précisément ici les prénoms vétérotestamentaires qu’Albert Cohen donne à la plupart de ses personnages juifs, est vecteur de deux voix concurrentes. La première est la voix de l’écrivain-prophète, qui, comme dans toutes les œuvres d’Albert Cohen, quel que soit leur genre, présente le peuple juif comme le fondateur sacré de l’Humanité parmi les hommes, par l’invention de la Loi et de Dieu, comme le peuple « d’antinature », refusant la force mais toujours renaissant sous les coups de l’Histoire. Mais, dans l’œuvre romanesque uniquement, l’intertexte biblique charrie aussi une voix implicite, beaucoup plus pessimiste, pleurant l’impossible salut du peuple juif, seul bastion d’Humanité et de Sens, après le nazisme et la Shoah.
- Bellis, Delphine, « L’insertion du sacré dans la science – une relation dialectique de détermination réciproque : Le Monde de Descartes et la Genèse »
Cette intervention s’intéresse à l’utilisation qu’un texte scientifique peut faire du texte sacré à des fins strictement scientifiques (ni artistiques, ni théologiques). Dans Le Monde, Descartes propose une fiction génétique par laquelle il crée un nouveau monde auquel il applique ses principes de physique et ses lois du mouvement. Finalement, cet autre monde ressemble en tout point au nôtre. La fiction génétique de Descartes, bien qu’elle s’éloigne en partie du texte biblique de la Genèse, s’efforce toutefois de s’en rapprocher ponctuellement. En effet, pour le philosophe, la vérité est une : science et religion doivent s’accorder, s’enrichir mutuellement plutôt que s’affronter. Mais, à cette fin, des distances doivent être prises avec une lecture trop littérale du texte sacré. La physique cartésienne donne donc à étudier un rapport complexe entre texte sacré et science, qui ne se veut ni confrontation ni soumission de l’un à l’autre. Le texte sacré, selon Descartes, fait référence au réel et doit orienter la recherche de la vérité en science, sans la déterminer de façon univoque et autoritaire. Le scientifique, s’il accorde une certaine valeur épistémologique à la lettre du texte, doit toutefois savoir l’interpréter.
- Delzant, Jean-Baptiste, « La prière peinte : textes sacrés et propagande politique dans la chapelle du palais Trinci de Foligno (Italie centrale, 1424) »
Il s’agit de montrer comment la mise en image du texte sacré peut correspondre à une stratégie politique de justification et de propagande d’un pouvoir dynastique. Ainsi, à Foligno, petite ville du centre de l’Italie, Corrado III Trinci, en 1424, fait orner la chapelle de son palais seigneurial de fresques mobilisant de nombreuses références au Nouveau Testament, à la tradition hagiographique et aux textes apocryphes. L’économie des peintures et leur disposition dans l’espace ont pour visée, outre la dévotion, la mise en scène du pouvoir des Trinci. Les seigneurs de Foligno apparaissent sur les fresques, soit à travers des figures sacrées faisant l’objet d’un culte familial, soit sous les traits d’une figure sacrée (Corrado est représenté comme un des Rois Mages). Par la mise en image, un échange se crée entre la source sacrée et le pouvoir temporel : d’une part, le sacré est actualisé, rendu présent dans la ville, par l’introduction des seigneurs dans la fresque et par l’utilisation de costumes et de décors propres au Quattrocento ; d’autre part, la famille régnante est insérée dans le temps et l’espace du sacré et l’histoire du Salut, ce qui assure la légitimité de son pouvoir.
- Fabry, Irène, « L’intégration littéraire et iconographique du motif de la descente du Christ aux enfers à l’ouverture du Merlin en prose de Robert de Boron (xiiie siècle) »
L’étude du début du Merlin permet d’interroger la pertinence de la notion de texte sacré au Moyen Age. Malgré la mise en place d’un corpus canonique de la Bible, le Moyen Age connaît une profusion de textes non canoniques mais ayant trait au sacré, fondamentaux dans la constitution de l’identité religieuse, de la culture et de la société du monde chrétien occidental.Le début du Merlin témoigne de l’influence paradoxale du matériau biblique et apocryphe sur la littérature arthurienne, dite « profane » : le roman se joue du texte sacré et de la tradition auxquels il emprunte sa matière. Sans volonté de ridiculiser, de critiquer ou de désacraliser le texte sacré, il y a prise de distance dans l’imitation.Ainsi, la conception de Merlin, né de l’union d’une femme et d’un démon, parodie de l’Incarnation, est mise en tension avec le motif de la descente du Christ aux limbes.Le personnage de Merlin est présenté comme un antéchrist, destiné à détruire l’œuvre christique de rédemption. Il y a prise de distance dans l’imitation mais, dans le contexte médiéval, cette réécriture ne correspond pas à une entreprise de désacralisation et de transgression : il s’agit d’une libre continuation du mouvement de réflexion et de création suscité par la matière biblique.
- Feuerstoss, Isabelle, « Textes sacrés et démarche géopolitique : cas pratiques d’Israël et de la Syrie »
Une des sources supposées de certains conflits qui déchirent le Moyen Orient est l’instrumentalisation de textes sacrés (judéo-chrétiens et musulmans) à des fins géopolitiques. Aussi la démarche intellectuelle qu’est la géopolitique doit-elle avoir recours à la lecture et à l’analyse des textes sacrés dont se réclament les acteurs afin de mieux appréhender les forces et dynamiques en présence et d’anticiper d’éventuels contre-coups sur d’autres espaces politiques parfois éloignés territorialement. Cette problématique sera exemplifiée par deux études de cas : celle du conflit israëlo-palestinien, massivement médiatisé mais dont les tenants géopolitiques ne sont pas toujours bien identifiés, et celle des revendications territoriales chrétiennes en Syrie, phénomène peu connu mais pertinent pour la question de l’instrumentalisation géopolitique des textes sacrés.
- Idier, Nicolas, « La notion de texte sacré dans la tradition chinoise : l’exemple des Entretiens de Confucius »
Cette intervention pose la question de la notion de sacré pour un texte fondant une religion sans divinité, une praxis sans dévotion à un Dieu. C’est le cas des Entretiens de Confucius : quelle sacralité leur attribuer et sur quoi repose-t-elle ? Le canon confucéen est, en Extrême-Orient, le texte le plus lu, le plus commenté, le plus vénéré. La tradition sanctifie les Entretiens pour leur dimension patrimoniale. Mais, à la différence des textes fondateurs des religions monothéistes, ce texte est reconnu pour être œuvre humaine et non transcription du Verbe de Dieu. Il s’agit donc de réfléchir à la notion problématique de texte sacré en dehors des sphères monothéistes et polythéistes. Pour tenter d’éclairer ce problème, l’intervention analysera la traduction française des Entretiens par Pierre Ryckmans.
- Lansard, Lydie, « L’Evangile de Nicodème ou les citations bibliques manipulées »
L’Evangile de Nicodème, aujourd’hui apocryphe, n’a été mis à l’Index qu’au xvie siècle. Il a été constamment copié, réécrit, remanié durant tout le Moyen Age, même au sein de Bibles Historiales. Le texte développe trois parties distinctes : le procès du Christ devant Pilate, qui reprend largement la trame des Evangiles synoptiques ; les aventures de Joseph d’Arimathie, qui sont une extrapolation des Evangiles canoniques ; la Descente du Christ aux Enfers, de tradition strictement apocryphe. L’Evangile de Nicodème s’appuie donc largement sur le récit canonique, dont il cherche à combler les lacunes narratives. De ce fait, les citations bibliques sont pléthoriques. Cette intervention interroge la notion de texte sacré au Moyen Age : l’Evangile de Nicodème biaise et manipule les références scripturaires, sans qu’il s’agisse toutefois d’une entreprise de désacralisation. En outre, ce texte a lui-même un statut problématique : texte pieux, sinon texte (con-)sacré, qui a largement contribué à l’iconographie et à la statuaire religieuses, mais aussi texte profane qui tend vers le récit d’aventures et dans lequel les Ecritures masquent à peine le roman.
- Leyre, Julien, « Les "noms collectifs" dans les traductions protestantes du Nouveau Testament à la Renaissance »
Figé, depuis le ve siècle, en Europe occidentale, sous la forme latine de la Vulgate, le texte biblique fait l’objet, à la Renaissance, de nombreuses traductions dans les langues vernaculaires – accompagnant le mouvement de réformation religieuse – et d’une plus grande diffusion grâce au développement de l’imprimerie. La traduction d’un texte sacré et sa diffusion massive posent la question du maintien de sa sacralité. Le texte sacré n’encourt-il pas le risque d’être profané en devenant un objet de commerce et de « sortir du Temple » en entrant dans les maisons ? La Parole de Dieu peut-elle être traduite ? Les langues vulgaires, jusqu’alors profanes se voient-elles sacralisées par la prise en charge du Verbe divin originel (puisqu’il y a, dans ces traductions, volonté de retour au texte hébreu et grec, précédant la Vulgate) ? Cette intervention abordera ces problématiques à travers l’analyse des traductions de quelques termes référant à des collectifs humains (groupe domestique ; groupe politico-social ; groupe religieux) dans des versions vernaculaires majeures du Nouveau Testament à la Renaissance. Les traductions de noms collectifs, désignant des réalités éminemment historiques et fluctuantes, nourrissent donc le texte sacré de connotations nouvelles, ce qui pose des problèmes théologiques et philosophiques aux traducteurs : il s’agira de prendre acte des différentes solutions qui ont été données à ces problèmes dans chaque traduction vernaculaire.
- Lora, Marianna, « L’image évoquée. Réflexions sur la nudité des personnages bibliques dans la peinture religieuse de la Renaissance »
Cette intervention porte sur la signification de la nudité de certaines figures de l’Ancien Testament dans la peinture de la Renaissance italienne. Le rapport avec le texte sacré est plus ou moins fidèle et le but de telles représentations n’est plus systématiquement religieux. Pour certaines figures (le cas de Suzanne sera analysé), il s’agit souvent de commandes privées, à valeur essentiellement esthétique et érotique. Toutefois le sujet choisi est bien emprunté à l’Ecriture sacrée. La question de la dimension religieuse de ces peintures reste donc entière. Tout en restant fidèle à la lettre du texte sacré, la peinture peut prendre la liberté de souligner la sensualité d’un corps bien plus que sa sacralité. En revanche, pour d’autres figures (le cas d’Isaac sacrifié sera étudié), les peintures représentant la nudité étaient destinées, pour la plupart, à figurer dans les églises. La nudité de la figure biblique ne relève dès lors plus seulement d’un choix esthétique : elle transmet un message théologique particulier et vise à renforcer la dévotion – alors même que, dans le cas d’Isaac, la nudité n’est pas spécifiée par le texte sacré.
- Ribreau, Mickaël, « Entre argumentation et polémique : l’emploi de la Bible dans le Contra Iulianum de Saint Augustin »
Le Contra Iulianum est un traité théologique s’attaquant à un négateur du péché originel, Julien d’Eclane, représentant du pélagianisme. Saint Augustin s’applique à prouver l’existence du péché originel et de la concupiscence en s’appuyant sur les Ecritures Saintes (tant le Nouveau que l’Ancien Testaments). L’intervention étudiera la manière dont Augustin utilise la Bible dans son traité. Le texte sacré peut aller réellement dans le sens de la thèse augustinienne, mais il peut aussi devenir un outil rhétorique sous la plume d’Augustin. L’auteur détourne alors, en en changeant le contexte, le texte sacré de son sens véritable pour en faire une arme polémique plus efficace.
- Rowley, Neville,« L’évolution de la mise en image d’un texte sacré : sur les deux versions de la Conversion de Saint Paul par Caravage » [pas d’intervention orale ; participation à la publication]
Cette intervention s’intéresse à l’iconographie religieuse, c’est-à-dire à la mise en relation entre une image (qu’elle soit ou non image de dévotion) et le texte sacré. L’art occidental n’est jamais simple transcription de l’Ecriture ou d’un dogme. Il se veut aussi exégète. Un même texte a pu faire l’objet d’interprétations visuelles différentes. Il s’agit ici d’étudier, à travers l’exemple des deux Conversion de Saint-Paul du Caravage, l’évolution, chez un seul artiste, de la représentation d’un même épisode du texte sacré. La première Conversion est toute empreinte de maniérisme ; dans la seconde, le génie luministe de Caravage s’exprime pleinement. Cette évolution correspond à la maturation d’un style pictural propre, mais traduit aussi et surtout un rapport renouvelé au texte sacré et plus précisément à l’Evangile de Marc et aux Actes des Apôtres.
- Solignac, Alexandre, « L’exégèse de Paul Claudel entre poésie, théologie et sciences »
Cette intervention envisage un autre aspect de la relation entre texte sacré et littérature. Il ne s’agit plus d’un emprunt intertextuel mais d’un commentaire du texte sacré par le texte poétique. L’exégèse claudélienne, à l’instar de la Bible, ne dissocie pas littérature et connaissance du réel. Le beau et le vrai y sont inséparables : la poésie la plus flamboyante, qui se veut reflet du « style » de l’Esprit Saint, s’y conjugue à la théologie la plus spéculative. Dans le commentaire claudélien, la Bible est donc envisagée d’abord comme poème, que seul un poète peut comprendre. D’un même mouvement, Claudel rejette toute exégèse positiviste (littéraliste et historico-critique) au profit d’une lecture symbolique, théologique et catholique du texte sacré, privilégiant le sens spirituel. Cependant, imprégné malgré lui de positivisme, Claudel perçoit l’Ecriture – et son écriture – comme connaissance, et ne cesse de recourir aux sciences les plus diverses. Le Verbe fait chair, venu sur terre et écrit dans la Bible, impose en effet un double rapport d’amour au monde : la connaissance et la célébration poétique du réel.
- Tixier, Frédéric, « L’illustration des passages évangéliques dans l’In Unum ex Quatuor de Zacharie de Besançon : traditions iconographiques ou innovations plastiques ? »
Il s’agit à nouveau d’étudier le rapport d’une image au texte sacré mais, cette fois, au sujet d’illustrations de passages bibliques recopiés dans un ouvrage de compilation. Dans la seconde moitié du xiie siècle, Zacharie de Besançon, chanoine prémontré, compile plusieurs passages des Evangiles et divers textes exégétiques en une œuvre cohérente intitulée l’In Unum ex Quatuor. De nos jours, une centaine de copies sont conservées en Europe. Si la genèse du texte a déjà intéressé la recherche, les nombreuses enluminures des manuscrits n’ont encore jamais été analysées. Cette intervention se propose d’étudier certaines miniatures ouvrant les passages évangéliques de l’In Unum ex Quatuor – notamment les tables canoniques et l’incipit des Evangiles de Matthieu et de Jean. Il s’agira de se demander si ces illustrations du texte sacré dépendent d’une tradition iconographique antérieure ou si elles mettent en place des innovations plastiques. Par ailleurs, la question du statut du dessin sera posée : pourquoi le Verbe de Dieu a-t-il « besoin » du dessin et comment est-Il « mis en image » ? L’enluminure éclaire-t-elle le sens du texte sacré ou sert-elle simplement de support ornemental ?